Partout à travers le monde, les machines sont au service de l’espèce humaine dans sa vie quotidienne, et les robots intelligents programmés pour aimer font même de parfaits compagnons. Trop, peut-être. Au point que l’humanité prend peur et décide de tous les éliminer. Heureusement pour Nobod, elle réchappe au génocide cybernétique par la grâce d’un bug inopiné. Désormais en fuite, elle doit dissimuler sa véritable nature pour survivre dans un monde hostile. Ses épreuves ne font alors que commencer…
Dès les premières pages, la prose de Lou Jan perturbe. Les phrases se brisent, la syntaxe est incomplète, la respiration se fait syncopée. Ce rythme haché, qui m’a d’abord tenue à distance, finit pourtant par révéler sa nécessité : la langue, fragmentée, épouse les émotions déroutantes. À mesure que l’on avance, on comprend que ces ruptures ne sont pas des effets gratuits, mais la forme même d’une pensée qui trébuche pour mieux dire l’indicible.
Car le texte, malgré cette rugosité initiale, n’en est pas moins d’une beauté sévère. On y cueille des éclats — petites pépites de poésie, images nettes comme des tessons — qui accrochent la mémoire. Lou Jan possède l’art des fulgurances.
Le récit interroge frontalement des notions que la littérature contourne parfois : la mécanique du meurtre de masse, le consentement, la mémoire et son érosion, la responsabilité individuelle face à l’engrenage collectif, l’amour comme résistance ou comme aveuglement, le corps instrumentalisé. Le mot “génocide” n’est pas gratuit : il appelle, sous la narration, une réflexion sur la chaîne froide qui transforme des vies en statistiques. Ce que le roman met en jeu, c’est la manière dont une société se réécrit elle-même pour rendre le pire praticable.
Reste un seul bémol selon moi : malgré la brièveté du livre, certains passages s’allongent, comme retenus dans une boucle réflexive qui dilue l’intensité. Cette sensation de longueur n’annule pas la force de l’ensemble pour autant.
Au final, c’est là un livre rare, exigeant, qui engage le lecteur au-delà du confort, et qui, par sa forme comme par son fond, continue de travailler longtemps après la dernière page.
La machine à aimer par Lou Jan, J’ai Lu, avril 2025, 8,20 €