Les effacées, de Bernard Minier

Quand les femmes disparaissent, c’est toute la société qu’on ne veut plus voir.

Dans Les effacées, Bernard Minier poursuit sa plongée dans les fractures de nos sociétés modernes, armé d’une plume efficace et d’une enquêtrice aux nerfs d’acier : Lucia Guerrero. Ce thriller haletant ne se contente pas de jouer sur les ressorts du suspense, il fouille, gratte, remue ce que nous préférerions souvent ignorer.

Après avoir arpenté les froides Pyrénées avec Martin Servaz, Minier délaisse une nouvelle fois les montagnes françaises pour les paysages pluvieux et mystérieux de Galice, en Espagne. Une destination de cœur, car comme il le confie lui-même : « Ma mère est née dans le nord de l’Espagne… Je suis moi-même retourné très souvent en Espagne à partir de l’adolescence… J’ai vu ce pays changer considérablement. »

C’est donc un terrain familier, charnel, qui sert de décor à cette double enquête : d’un côté, des femmes invisibles disparaissent sur le chemin du travail ; de l’autre, un tueur au cri rageur « TUONS LES RICHES » frappe au cœur de la capitale. Deux mondes que tout oppose, deux violences, une seule enquêtrice. « Dans Les effacées, ses nerfs sont mis à rude épreuve puisqu’elle n’est pas confrontée à UN mais à DEUX tueurs… Et, pour Lucia, un double enjeu et une forme de schizophrénie. »

Lucia Guerrero n’est pas une inconnue pour les lecteurs de Minier. Elle avait déjà fait forte impression dans le roman Lucia (2022), qui marquait sa première apparition. Si elle apparaît aujourd’hui comme une figure récurrente de l’œuvre de l’auteur, c’est qu’elle incarne avec force les contradictions de notre époque : droiture, intransigeance, doutes et fragilités. « Elle ne connaît guère la diplomatie et le compromis. Mais c’est aussi ce qui la rend intéressante et si attachante. » Son énergie brute peut cependant fatiguer, et l’on pourrait souhaiter parfois un peu plus de nuance, voire de vulnérabilité assumée.

Minier ne se contente pas d’un polar bien ficelé, il interroge aussi les dérives de nos temps modernes. Le sort des effacées résonne comme un écho glaçant des inégalités sociales : « Ce phénomène [la société de provocation] est mille fois plus voyant et plus envahissant aujourd’hui… les ultrariches le sont chaque jour davantage. » Quant à la présence des « incels » dans le récit, elle ancre le livre dans une réalité contemporaine glaçante. « Ils prônent la misogynie, la haine des femmes et même le viol… Il s’agit d’une véritable idéologie. »

Et pourtant, Minier le rappelle : « Les effacées est d’abord un thriller plein de rebondissements, pas un roman social. » C’est aussi ce qui peut frustrer. L’intrigue, bien que rythmée et dense, manque parfois de souffle novateur. Certains ressorts narratifs semblent trop attendus et le lecteur friand de surprises pourra rester sur sa faim.

En bref : Les effacées n’est pas le roman qui réinvente le genre, mais il remplit parfaitement sa promesse : nous tenir en haleine tout en jetant un œil aigu sur les angles morts de nos sociétés. Un thriller social sans en avoir l’air.

Bernard Minier, Les effacées, Editions Xo et Pocket

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