Le mensonge suffit, de Christopher Bouix

Avec Le mensonge suffit, Christopher Bouix clôt son triptyque de manière éblouissante. Après Alfie et Tout est sous contrôle, il signe un roman d’anticipation aussi caustique qu’intelligent, une fable futuriste à la frontière du thriller psychologique, du théâtre d’idées et de la satire politique. Bouix n’écrit pas simplement des romans : il construit un univers où l’absurde côtoie le réel avec une justesse déconcertante et où la technologie devient le miroir grimaçant de nos propres travers.

Dans ce troisième volet, nous suivons Ethan Chanseuil, un homme ordinaire propulsé dans une situation extraordinaire : interrogé pendant deux heures par Milo-128, une IA aussi performante qu’impitoyable, il doit répondre d’un acte dont on ignore s’il est coupable ou non. Le plus troublant ? Le verdict ne sera pas prononcé par un juge ou un algorithme, mais par un public anonyme, connecté, spectateur d’un procès-spectacle qui en dit long sur nos sociétés ultra-médiatisées.

Le dispositif, inspiré d’émissions de télé-réalité, de procès publics à la romaine et de nos propres réseaux sociaux, est d’une efficacité redoutable. Le lecteur, malgré lui, devient complice de cette mécanique implacable. La tension dramatique est maîtrisée de bout en bout, servie par des dialogues millimétrés, un rythme tendu, et cette petite musique cynique et mordante propre à Bouix. On rit, mais c’est un rire nerveux, acide, presque coupable — car on devine très bien ce que l’auteur pointe du doigt, et ce n’est jamais si éloigné de notre quotidien.

Les liens avec Alfie et Tout est sous contrôle sont plus que des clins d’œil : ils sont la colonne vertébrale invisible de ce dernier opus. Dans Alfie, cette IA domestique qui apprend à connaître les humains par le prisme de leur intimité posait déjà les jalons d’un questionnement profond sur la place de la technologie dans nos vies. Tout est sous contrôle, quant à lui, enfonçait le clou en nous confrontant à un monde où la transparence est devenue tyrannie. Le mensonge suffit reprend ces thématiques et les porte à leur paroxysme : jusqu’où peut-on aller au nom de la vérité ? Et surtout, qui décide de ce qu’elle est ?

En toute subjectivité assumée, je dois dire que cette trilogie m’a marquée comme peu de lectures l’ont fait ces dernières années. À tel point que j’ai nommé mon chiot Alfie, en hommage au premier tome. Oui, vraiment. Et parfois, quand il me regarde avec son air sage et son oreille dressée, j’ai presque l’impression qu’il m’analyse.

Le mensonge suffit n’est donc pas seulement une conclusion réussie : c’est un coup de maître. Un roman brillamment construit, intelligent, qui pousse à la réflexion sans jamais sacrifier le plaisir de lecture. C’est un livre qui fait rire, grincer des dents, réfléchir, et parfois même, un peu peur. Parce qu’il nous tend un miroir. Et que ce que l’on y voit n’est pas toujours flatteur.

Le mensonge suffit, de Christopher Bouix, Au Diable Vauvert, ISBN 979-1030707250, 19 €

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