Revoilà le King dans un genre qu’il affectionne particulièrement, et que les lecteurs lui rendent bien, celui de la nouvelle. Une tradition, une habitude américaine que les éditeurs européens, français en particulier, ont bien du mal à accepter et à mettre en valeur. Au vu des centaines de courtes histoires qu’il a écrites au cours de sa carrière prolifique, le talent de l’auteur n’est plus à prouver. Ceci étant, que vaut ce dernier opus ? J’avoue que depuis Fin de ronde, j’ai trouvé ses romans moins prenants. C’est toujours confortable d’ouvrir un King et de le lire, bien installé dans un fauteuil, un verre à portée de la main… mais le confort actuel évoque plus une paire de charentaises au coin du feu qu’une paire de bonnes chaussures de randonnée.
Douze nouvelles composent cet ouvrage, de longueurs très inégales. Pour ma part, les plus courtes sont les moins intéressantes et les plus publiables. La cinquième étape, Willie le tordu, Finn, Écran rouge ? King a déjà écrit cent fois mieux que cela. Slide Inn Road sort un peu de l’ordinaire avec le grand père adepte de la riposte, Laurie est une petite histoire touchante entre un homme solitaire et son chien, Le spécialiste des turbulences ne m’a pas convaincu non plus. Rien de très noir dans tout cela.
Restent alors les plus longues. La première, Deux crapules pleines de talent est une histoire que Stephen King aurait pu écrire comme scénario d’un épisode des X Files il y a quelques années. Des extraterrestres, une récompense stellaire, un talent miraculeux. Bien écrite mais le côté fantastique est plutôt soft.
Le mauvais rêve de Danny Coughlin est probablement une des meilleures du livre. Imaginez-vous en train de rêver d’une station service abandonnée, et dans la cour, le corps d’une femme assassinée et ensevelie sous terre. Vous finissez par vous rendre compte que la station existe. Comme le cadavre. Ce qui fait de vous le principal suspect du meurtre. Une histoire qui évoque le début de L’outsider (avant que l’arrivée d’Holly ne vienne tout gâcher) et un flic bien frappé qui a la manie de tout compter.
Serpent à sonnette joue à fond la carte de la nostalgie, à la façon de Duma Key et Histoire de Lisey. On y retrouve bien des années plus tard un ancien protagoniste connu des lecteurs de King, Vic Trenton, le père de famille dans Cujo. Désireux de faire une pause dans sa vie et de fuir le covid, Trenton loue une maison appartenant à un ami, sur un bout de terre perdue de Floride. Il fait la rencontre d’Allie Bell, une vieille dame qui promène une poussette vide dans laquelle elle a déposé les vêtements de ses jumeaux morts à la suite de multiples morsures de serpent venimeux. Peu à peu, et alors qu’Allie finit par décéder de cause naturelle, Trenton est persuadé que les jumeaux morts lui parlent et veulent le retenir. King introduit une bonne dose de fantastique dans sa nouvelle, mais même si le style reste très visuel, on a connu là encore l’auteur plus descriptif et plus expressif dans l’effroi et l’horreur.
Il en va de même avec Les rêveurs, qui aurait pu être une nouvelle très noire, horrifique, dans le ton des écrits de Lovecraft, mais qui n’effleure finalement que le thème abordé, ce qui se situe au-delà des rêves. Dommage car le potentiel était présent.
On terminera avec L’homme aux réponses, une des histoires les mieux conçues du livre, une ambiance aigre-douce, un homme qui au cours de sa vie croisera un mystérieux inconnu ayant réponse à toutes les questions. Phil Parker découvrira qu’il est parfois préférable d’ignorer le futur, même s’il est en pointillé. Si nous avions cette possibilité pendant quelques minutes de poser toutes les questions à quelqu’un capable d’y répondre de façon juste, même uniquement par oui ou non, que ferions-nous ?
En refermant l’ouvrage, j’aurai eu l’impression de lire un King assez tranquille, sans trop de surprises, loin de ce à quoi j’aurais pu m’attendre. Plus noir que noir me parait exagéré, Stephen King a fait bien plus noir auparavant. Comme il a écrit bien mieux auparavant. Une impression de minimum syndical qui me laisse en définitive une sensation de trop peu.
Stephen King – Plus noir que noir – Traduction de Jean Esch – Éditions Albin Michel – mars 2025 – 24,90€ – ISBN 978-2-226-49310-1