Jasperville, petite cité minière perdue au milieu de nulle part, au nord-est du Canada. Des hivers rudes, des conditions de vie spartiates. Et peu d’avenir en dehors des postes chez Canada Iron. Expert en incendie, Jack Devereaux a quitté cet univers de malheur, abandonnant son père mentalement déficient, son plus jeune frère et la femme qu’il aimait, pour se réfugier à Montréal. Il a surtout voulu oublier les morts inexpliquées de jeunes filles, dont certaines étaient très proches de lui et de sa famille. Aussi, lorsqu’il reçoit un appel du sergent de sureté de la ville, lui demandant de venir après l’arrestation de son frère pour tentative de meurtre, le mur qu’il a bâti autour de lui s’écroule. Jack a voulu fuir le passé et celui-ci lui revient de plein fouet. Malgré sa répugnance, il comprend qu’il n’aura pas le choix : il doit retourner là-bas…
R.J. Ellory est un auteur fascinant. Je l’ai découvert avec Les neuf cercles et Mauvaise étoile, et chaque nouvelle lecture est un nouveau plaisir. Il possède un sens du rythme d’écriture, une façon de cerner la psychologie de ses personnages, qui fait mouche à chaque fois. J’aurais tendance à penser qu’avec Une saison pour les ombres, ce diable d’auteur atteint la quintessence de son art, mais je me doute que le suivant sera meilleur, et le suivant encore, et ainsi de suite. Jusqu’où sera-t-il capable de nous emmener ?
On pourrait diviser ce roman en deux parties : celle concernant le passé de la famille Devereaux et celle qui s’intéresse au retour de Jack dans son village natal. Chaque chapitre se succède ainsi permettant de mieux cerner la personnalité du protagoniste, ce qui l’a poussé à fuir, et ce qui a déclenché l’accès de folie de son frère Calvis. Devereaux est un personnage comme je les aime, un anti-héros solitaire, un taiseux replié sur lui-même, avec sa part d’obscurité, et ce côté fracassé qui le rend encore plus humain. Dans les quelques rues qui forment Jasperville, le lecteur, aussi glacé par le froid et la nuit, ne peut que compatir à ses hésitations. En cela, je l’ai trouvé assez proche du shérif John Gaines des Neuf cercles.
Une saison pour les ombres n’est pas qu’un simple thriller sur des anciens crimes non élucidés. C’est surtout un roman sur la repentance, la résilience, l’acceptation de soi et de son passé. Un très, très grand roman. R.J. Ellory est décidément du bois, ou plutôt de la plume, dont on fait les meilleurs auteurs.
R.J. Ellory – Une saison pour les ombres – traduction d’Etienne Gomez – Editions Sonatine – Janvier 2023, 25€ – ISBN 978-2-35584-990-9