Je vais vous faire une confidence : j’adore Joe R. Lansdale. En particulier lorsqu’il narre les avatars de ses deux anti-héros, Hap Collins et Léonard Pine, mais aussi dans ce type de roman âpre et dur, aux accents de thriller social. Ici, nous sommes dans les années 30, dans un Texas en pleine dépression. Camp Rapture, une ville champignon comme il en existe des dizaines à l’époque, poussée là où on trouve du travail, en l’occurence une énorme scierie. Des gens frustres, prompts à l’alcoolisation et la bagarre, sous la coupe du shérif Pete Jones, un homme particulièrement violent. Un soir d’éthylisme, alors qu’il bat Sunset, sa femme, pour la énième fois avec l’intention de la violer, celle-ci parvient à lui dérober son arme et le tue. Contre toute attente, sa belle-mère prend fait et cause pour elle et use de son influence pour la faire nommer à la place de son défunt mari. La plupart des bûcherons voient cette nouvelle d’un mauvais œil, Henry Shelby en particulier. Le responsable des ouvriers se verrait bien maire de Camp Rapture et de Holiday, la ville voisine où le pétrole est exploité à outrance. À peine nommée, Sunset se plonge dans les dossiers de l’ex constable, et une affaire l’interpelle : celle d’un bébé enterré dans un champ voisin. Bientôt, c’est le corps de sa mère que l’on retrouve. Or cette femme n’est autre que l’ancienne maîtresse de Pete Jones. Sunset, que tout accuse, a peu de temps pour prouver son innocence et retrouver le véritable coupable, sur fond d’escroquerie et de spoliation de terrain.
Avec son style particulier, à la fois cru, sans fard, mais aussi drôle et par moments émouvants, Joe R. Lansdale décrit le quotidien harassant des bûcherons dans un monde machiste où la femme n’a aucun droit et où il est normal pour un mari de battre son épouse. Un milieu où le distinguo entre Noirs et Blancs est encore très présent, les premiers n’ayant droit à aucune considération. Difficile d’imaginer que la guerre de Sécession est passée par là… Dans la peau d’une sorte de walkyrie de western revenue des enfers, Sunset est un personnage touchant, comme l’auteur aime les composer. Autour d’elle gravite une foule de seconds couteaux savoureux, comme Marylin, la belle-mère, Clyde, l’adjoint amoureux transi, Zendo, le cultivateur noir, Hillbilly, le truand à la belle gueule, et Lee, l’ancien prêcheur surgi de nulle part qui veut racheter son passé. Du côté des mouvais, McBride et son jumeau à double personnalité, Two, forment un duo détonnant.
Un roman savoureux qu’on ne lâche pas facilement, une conclusion douce-amère mais logique qui est l’apanage des livres de Lansdale. Culte vous avez dit ? Assurément !
Joe R. Lansdale – Du sang dans la sciure – Traduction par Bernard Blanc – Éditions Folio, janvier 2020 – ISBN 978-2-07-039589-7