Interview de Philip Le Roy (2025)

Autour de Danse avec la mort et La femme la plus dangereuse du monde

Comment est née l’idée de Danse avec la mort ?
Mes genres de prédilection sont le thriller et l’horreur. Je commence donc par choisir des personnages qui auront à affronter la mort et les fantômes de leur passé. Pris dans un étau qui se resserre dangereusement, ils devront tout faire pour s’en sortir. Maïa est une danseuse qui a perdu ses jambes et le goût de vivre. Soudain confrontée à la mort et à l’amour lors de l’exploration d’un sanatorium désaffecté, comment va-t-elle réagir ? Ainsi est né Danse avec la mort : à partir du personnage de Maïa et de cette question.

Tu plonges un groupe d’adolescents dans un décor digne d’un film d’horreur. Qu’est-ce qui t’attire dans ce genre d’univers ?
L’univers de l’épouvante permet d’orienter le regard des lecteurs sur ce qu’ils n’ont pas l’habitude de voir, de leur coller un œil sur les interstices inexplorés de la réalité. Et de déclencher chez eux l’émotion la plus ancienne, la plus forte mais aussi la plus bienfaitrice : la peur !

Maïa, ton héroïne, est en fauteuil roulant. Pourquoi ce choix ?
Le fauteuil roulant est l’accessoire idoine du récit horrifique car il représente un sérieux handicap face une menace. Clouée dans son fauteuil, Maïa est non seulement dépendante de ses camarades avec lesquels elle ne s’entend pas, mais elle est surtout vulnérable face au danger, dans l’impossibilité de fuir au sein d’un environnement aussi hostile que cet ancien sanatorium où il s’est passé des évènements effroyables. Les scènes avec l’attaque des araignées ou face au mystérieux tueur par exemple se veulent très flippantes car Maïa ne peut pas leur échapper !

Le roman évoque aussi les tensions sociales, les non-dits, les blessures de jeunesse. Tu écris un thriller, mais on sent une vraie attention aux relations humaines. C’était important pour toi ?
Les relations humaines sont fondamentales dans un roman. Je mets souvent en scène un petit groupe pour favoriser les confrontations entre les différentes personnalités, créer des tensions qui s’ajoutent à celle de l’intrigue mais aussi susciter des passages drôles entre deux scènes de terreur. L’art du dialogue, un exercice que j’affectionne particulièrement, est très révélateur de la psychologie des personnages. La complexité des relations humaines permet des twists psychologiques, révélant que l’un des personnages n’est pas celui que l’on croyait.

Comment travailles-tu la psychologie de tes personnages adolescents ? Tu t’inspires de rencontres, de souvenirs personnels ?
J’ai été jeune donc je me sers de mon vécu. Mais je m’inspire aussi de mes filles et de leurs copains, de leurs goûts, de leur façon de s’exprimer et de se comporter de nos jours. J’aime les personnages adolescents car ils sont à une moment charnière de leur existence, ils ne sont pas encore totalement entrés dans la normalité que nous construisons en devenant adultes. Ils sont plus aptes à se confronter à l’étrange et à l’anormalité.

Tu as écrit plusieurs romans ados pour Rageot. En quoi Danse avec la mort se distingue-t-il des précédents ?
C’est une œuvre probablement plus mature. J’ai voulu parler de la mort aux jeunes. Un sacré défi ! J’ai essayé de le faire de manière sérieuse et rocambolesque, terrifiante et drôle, humaine et monstrueuse, émouvante et poétique. Le genre horrifique permet tout cela. Parler de la mort de façon distrayante.

Tu n’épargnes pas tes lecteurs : il y a du suspense, de la peur, et même un peu de cruauté. Est-ce que tu te fixes des limites quand tu écris pour un public jeune ?
Mes romans publiés aux éditions Rageot sont destinés à un public plus large. Je me fixe donc des limites que j’ai l’habitude de dépasser allègrement dans mes thrillers réservés à un public averti. En même temps cela me pousse à être créatif pour contourner ces interdits. La terreur et la violence y sont surtout psychologiques, le récit ne bascule pas dans l’horreur descriptive ni le gore. Ces romans peuvent aisément entrer dans les CDI des établissements scolaires, ce dont je suis ravi car ils me donnent l’occasion d’aller à la rencontre des élèves et d’échanger avec eux.

Et la bande-son idéale pour accompagner ce roman, ce serait quoi ?
La playlist idéale pour Danse avec la mort est en pages 336 et 337.

La femme la plus dangereuse du monde

Tu réédites aujourd’hui Aliana sous un nouveau titre et dans une version enrichie. Qu’est-ce qui t’a poussé à revisiter ce texte ?
Il y a deux raisons principales. La première est indépendante de ma volonté. Aliana est sorti en novembre 2022 au moment où mon éditeur Cosmopolis qui publiait pourtant parmi les meilleures plumes de thriller français, décide brusquement de cesser son activité. Aliana n’a donc pas eu le temps de s’installer. La seconde raison tient à son héroïne qui me hante encore aujourd’hui. J’avais déjà éprouvé cela avec le personnage de Nathan Love qui m’avait accompagné pendant plus de huit ans. Aliana était encore bien présente et j’avais tellement de choses à dire sur elle que lorsque j’ai récupéré les droits du roman et que j’ai proposé aux éditions du 123 de le rééditer en grand format, j’en ai profité pour enrichir le récit. J’ai revu tout le texte, ajouté une multitude de détails qui me paraissaient utiles et surtout onze chapitres inédits dont une scène de guerre effroyable qui explique plus clairement l’origine du stress post-traumatique du personnage. J’ai également complètement réécrit une scène d’amour qui ne me satisfaisait pas.

Quel regard portes-tu sur Aliana aujourd’hui ? A-t-elle changé dans ta tête depuis la première version ?
Non, Aliana est un personnage qui évolue au fil du récit mais qui n’a pas changé depuis que je l’ai laissée. Avec du recul, j’ai seulement apporté un éclairage plus précis sur elle.

C’est un personnage fort, mais aussi profondément abîmé. Est-ce que tu la considères comme une héroïne ?
Pour moi c’est l’héroïne parfaite, avec des failles gigantesques et des qualités hors-normes. Un personnage qui veut faire le bien avec des méthodes de guerrière disproportionnées et qui transforme la France en champ de bataille. Aliana commet autant de dégâts que de réparations. C’est une héroïne sans limite ni aucune retenue, comme je n’en ai jamais vu dans la littérature.

Le roman mêle action, tension psychologique, et un vrai portrait de femme. Tu avais envie de casser les codes du genre ?
J’avais envie de raconter une histoire qui soit à l’image de mon héroïne : atypique. Envie de jeter dans la société française d’aujourd’hui une femme-soldat restée en mode guerre, de voir les bonnes et mauvaises actions que cela pouvait engendrer. L’intrigue ne suit pas les codes du genre car elle est construite comme une suite de rencontres que fait Aliana au cours de sa cavale. Des rencontres qui peuvent s’apparenter à autant d’épisodes d’une série (à l’image de la série kung fu incarnée par David Carradine), mais reliées par un solide fil rouge (la mystérieuse lettre) menant à un dénouement complètement inattendu.

Tu as reçu le Prix Bob Morane pour Aliana. Ce prix a-t-il eu un impact sur toi ou ta manière d’aborder cette réédition ?
Ce prix prestigieux a bien sûr joué dans mon choix de faire republier ce roman en grand format. Il a été un argument supplémentaire pour convaincre mon nouvel éditeur de la qualité du roman, de son potentiel et de la nécessité de donner à celui-ci une nouvelle chance. La démarche n’est pas courante dans le secteur de l’édition. J’en suis d’autant plus reconnaissant aux éditions du 123 et plus particulièrement à Kim Reimeringer.

Est-ce qu’on peut dire que La femme la plus dangereuse du monde est aussi un roman politique, ou engagé, d’une certaine façon ?
Je n’aime pas les romans qui se servent de la littérature pour donner des leçons de morale ou pour faire passer des messages politiques ou engagés, donc je ne risque pas d’en écrire. La littérature doit être pour moi l’art de raconter une bonne histoire, l’art de proposer une philosophie de vie sous la forme d’une intrigue, d’émotions fortes et de personnages auxquels on a envie de s’attacher. Peu importe que le lecteur adhère ou pas à ce que font ces personnages. Ce qui est important c’est qu’il en tire quelque chose et se forge sa propre opinion. Il y a des actes d’Aliana que je valide, d’autres non, mais je ne dirai pas lesquels.

Tu sembles particulièrement à l’aise pour écrire des héroïnes. Est-ce plus naturel pour toi de te glisser dans la peau d’un personnage féminin ?
Oui, parce que j’en tombe plus facilement amoureux. Pour La femme la plus dangereuse du monde, je me suis inspiré en partie de mon épouse qui adore jouer les justicières impétueuses, mais qui heureusement sait se contrôler pour ne pas basculer dans la criminalité.

Pour conclure

Si Maïa et Aliana se rencontraient… elles s’entendraient, tu crois ?
J’en suis persuadé. Outre le handicap, physique pour l’une, psychique pour l’autre, elles partagent une personnalité borderline et n’hésitent pas à frayer avec la mort.

Ces deux romans montrent des femmes en lutte, chacune à leur manière. Qu’aimerais-tu que les lectrices (et lecteurs !) retiennent en les refermant ?
Mario Vargas Llosa qui nous a quittés récemment disait que la littérature nous permet de fuir une réalité hostile tout en nous aidant à mieux la saisir. Je suis d’accord avec ça. Lire des histoires, c’est apprendre à vivre. Ce que j’espère, c’est qu’en refermant ces deux romans, mes lecteurs se soient non seulement divertis et aient été fortement émus, mais aussi que ces deux histoires aient apporté un petit plus dans leur existence.

Et toi, quel genre de lecteur es-tu ? Tu frissonnes facilement ou tu restes de marbre ?
Je frissonne de moins en moins facilement même si je suis toujours friand de littérature et de cinéma horrifiques. Je suis aussi conscient que la peur est ce qu’il y a de plus difficile à provoquer, surtout en littérature où l’on ne dispose pas du son. Alors quand je réussi à faire sursauter un lecteur plongé dans un de mes romans, je jubile.

Si tu devais recommander un autre auteur ou autrice pour ceux qui ont aimé ces deux livres, ce serait qui ?
Je peux recommander deux romans. Simetierre de Stephen King, un roman horrifique qui parle de la mort mieux que n’importe quelle thèse ou essai sur le sujet. Et Transparences d’Ayerdhal dont l’héroïne est impressionnante.

Et enfin, à quoi peut-on s’attendre dans ton prochain roman ? (Spoiler autorisé ?)
Je travaille actuellement sur mes deux prochains romans : un thriller pour adultes et un thriller grand public. Les intrigues sont définies dans ma tête et les personnages existent. Ils sont là, à côté de moi. Je ne peux pas dévoiler le pitch car je n’ai encore rien proposé à mes éditeurs. Ce que peux dire c’est que ces romans vont traiter tous les deux mais de manière radicalement différente de la faculté de tordre la réalité pour mieux la contrôler.

Critique de La femme la plus dangereuse du monde ici
Critique de Danse avec la mort ici

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