Les derniers jours de Harry Yuan, d’Arbon

Arbon, l’homme qui a changé d’orchestrations sans changer de clé
Sous le pseudonyme Arbon se tient Jean-Pierre Arbon (Paris, 1953) : ancien éditeur et entrepreneur du numérique, diplômé d’HEC, il a pris un virage solaire vers la chanson (Coup de Cœur de l’Académie Charles-Cros), avant de revenir, par la grande porte, à la narration longue. Cette double appartenance ­– industrie du livre et musique – innerve son premier roman comme une basse continue : précision d’ingénieur, souffle de mélodiste.

Le livre, ou l’art de faire luire une disparition
Paru à la rentrée 2025 chez Au diable vauvert (320 p.), Les derniers jours de Harry Yuan s’ouvre sur une convocation : un narrateur (ex-éditeur devenu auteur de chansons) reçoit un message énigmatique et file vers une île grecque. Là, un fantôme de la révolution numérique – Harry Yuan, milliardaire déchu, volatilisé depuis 2006 – propose de raconter sa vie : fulgurance, chute, vengeance, peut-être rédemption. On lit d’abord pour « savoir », puis pour goûter l’incertitude elle-même.

Synopsis (sans effeuiller la rose)
D’un décor presque nu – mer, pierre, lumière – surgit un roman-enquête qui déplie, en récits enchâssés, le destin d’un matheux devenu magnat. Les pièces s’ajustent comme des tesselles : archives allusives, confidences, versions concurrentes. L’énigme n’est pas « qui a fait quoi », mais qu’est-ce que la vérité quand elle passe par le récit – et quand Internet, de mémoire vive, devient machine à trous.

Chronique
Il y a d’abord la phrase : nette, tenue, presque classique – jamais glacée. Arbon avance à pas comptés, sans pyrotechnie, et laisse la musique secrète des images travailler. Plusieurs lecteurs professionnels ont pointé ce style qui emporte tout, mais c’est moins une cavalcade qu’une capillarité : la langue gagne la page par imprégnation, sans bruit.

Il y a ensuite le dispositif : pas de thriller tapageur, plutôt une tension méthodique – l’aiguille oscille entre confession et fabrication, avec ce plaisir romanesque très XIXe (on pense au retour façon Monte-Cristo) transposé au capitalisme des écrans. Le livre réussit là où tant échouent : faire de la tech un théâtre moral plutôt qu’un jargon.

Et puis les thèmes, faufilés sans soulignement :

  • L’effacement à l’ère des traces : comment disparaître quand tout laisse de l’ADN numérique ? (Harry choisit la mythologie, pas la déconnexion.)
  • Le pouvoir comme récit : on devient riche d’algorithmes, on demeure par légende – et le roman ausculte ce passage de l’actif au mythe.
  • La vengeance : non comme feu d’artifice, mais comme architecture patiente, presque esthétique.

Ce qui brille : la cohérence d’ensemble – décor resserré, voix égale, architecture limpide – et ce mélange rare de mélancolie et d’intelligence narrative : on tourne la page pour comprendre ; on la relit pour demeurer.

Ce qui peut diviser : le rythme posé. Le roman n’essaie pas de nous faire courir ; il nous immobilise avec élégance. Les amateurs de page-turners à haute fréquence cardiaque risquent de chercher la sirène ; Arbon préfère la note tenue. (Les avant-critiques ont d’ailleurs insisté sur ce tempo calme, volontaire.)

Conclusion

Livre très maîtrisé, Les derniers jours de Harry Yuan réussit une chose étonnamment rare : orchestrer le mystère plutôt que le résoudre. On le referme avec l’impression qu’Arbon ne nous a pas vendu un secret – il nous a appris à l’écouter. Dans le vacarme des sorties, voilà un roman qui parle bas et reste longtemps – comme ces îles où l’on n’accoste qu’une fois, mais d’où l’on repart plus lourd de ciel que de valises. (Si Harry vous écrit, répondez-lui : « La vérité n’est pas un mot de passe, c’est une voix ».)

Arbon : Les derniers jours de Harry Yuan, Au Diable Vauvert

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