Cruelty Free, de Nick Gardel

Henri-Georges Clouzot a déclaré un jour : “Pour faire un film, premièrement, une bonne histoire, deuxièmement, une bonne histoire, troisièmement, une bonne histoire.” Cet aphorisme cinématographique s’applique sans nul doute à la littérature, et particulièrement aux romans de Nick Gardel. Faisant fi de la routine et des impondérables trop impondérables, l’auteur a toujours su s’affranchir de phrases et de mots convenus pour ciseler son univers où les personnages et l’ambiance ont la même importance et une interaction savoureuse. Comme il le dit lui-même en salon, « je tue des gens mais avec le sourire ». Et, s’il sait aussi bien passer de l’humour au drame, c’est avec la même aisance, le même sens de l’à-propos, la même facilité à plonger le lecteur dans l’absurdité quotidienne de ses personnages.

S’il a déjà abordé le fantastique sous la plume de Pierre Raven avec L’odeur du pain brûlé, Nick Gardel nous régale cette fois d’un roman foutraque où il est question de vampire. Clovis Delorge vit, ou plutôt survit, dans cet état de non-mort depuis plus de deux siècles. Le bougre s’en accommode fort bien, ayant même trouvé une société prête à le ravitailler en sang afin d’éviter le retour du monstre qui sommeille toujours en lui. Car oui, Delorge est un vampire doté d’une conscience morale. Jusqu’au jour où le voilà couvert de plaques érythémateuses, atteint d’un prurit féroce qui le fait souffrir le martyre. Son fournisseur attitré ne comprend pas, l’explication finit par couler de source (…) : Clovis est allergique au sang humain. Enfin, pas tous les sangs, car ayant ponctionné une influenceuse végane, il réalise qu’il n’a aucune réaction. Voilà donc Clovis Delorge obligé de parcourir les salons bio-éthico-naturo-tout-ce-qu’on-veut-qui-termine-en-o, afin de trouver un moyen simple et durable de se nourrir. Le fameux Cruelty-free cher à Muriel Dowding. Seulement, ses agissements ne passent pas inaperçus et finissent par attirer l’attention d’une militante extrémiste aussi barrée qu’un chèque annulé et avec le Q.I. d’un brocoli, mais aussi d’un improbable duo de flics fatigués de la vie et de l’existence.

À travers ce roman totalement et férocement perché, dont l’esprit rappelle Droit dans le mur et Le bruit dans même tête, Nick Gardel nous offre une nouvelle fois des personnages hauts en couleur, des losers magnifiques qui attirent automatiquement la sympathie, à commencer par ce pauvre Clovis Delorge. Mais il se paye aussi une excellente satire de ce milieu où les limites entre le sérieux du sujet et le véritable piège à gogos sont souvent très ténues. Il n’a même pas à forcer le trait, pour connaître des personnes appelées à arpenter ce genre de salons nature, je peux vous affirmer qu’il est parfois encore assez gentil…

C’est bien ce qu’il dit de lui, d’ailleurs, non ? Je ne saurais donc que vous recommander de dévorer ces trois cents et quelques pages d’humour féroce et affuté, ne serait-ce que pour prouver que Nick est un excellent auteur, et qu’à part lui, personne n’est capable d’amener aussi loin l’absurde, la dérision et le noir en gardant ce qu’il faut de sérieux.

Mais quand donc, bon sang de bonsoir, un éditeur se rendra-t-il compte de son talent !

Nick Gardel- Cruelty Free – Autoédition Friends Only – octobre 2025 – 19€ – ISBN 979-8268352238

Laisser un commentaire